lundi 23 septembre 2013

La répression meurtrière des mouvements sociaux en Colombie : État des lieux d’un modus operandi classique de la politique colombienne



Alors que la Colombie connaît le dénouement d’un bras de fer long de trois mois, opposant l’État au mouvement social paysan le plus important de ces trente dernières années, il est temps de faire le point sur les méthodes de répression des mouvements sociaux opérées par l’État Colombien et en particulier par le gouvernement centriste de Santos.

Opposé à la politique de développement économique du gouvernement, notamment aux effets négatifs du Traité de Libre Commerce[1] avec les États-Unis, le mouvement paysan démarré au nord-est du pays (dans la région du Catatumbo) et relayé dans la plupart des zones rurales, ainsi qu’en milieu urbain, a en effet subi une répression violente de la part du gouvernement. Ce dernier s’est contenté d’opposer des accusations de terrorisme et des balles réelles[2] à la révolte rurale, avant de se résoudre, acculé par une opinion publique désormais retournée contre lui, à négocier avec les organisations paysannes. Dès le début du mois de juillet, alors que le mouvement ne s’était pas encore exporté au-delà du Catatumbo, on dénombrait déjà 4 morts et plus d’une cinquantaine de bléssés[3]. S’il est encore prématuré d’établir un bilan national quantitatif des victimes de la répression, on peut cependant dresser un état des lieux des différentes pratiques de répression recensées à travers le pays.


Une commission de rapporteurs des Droits de l’Homme, composée de membres d’ONG et de journalistes indépendants, a observé que l’ESMAD (Escuadrón Móvil Antidisturbios, la police anti-émeutes),  s’est comporté comme une véritable « armée d’occupation supplantant l’autorité civile et violant systématiquement les droits de l’homme » dans la région andine proche de Bogota, Boyaca. La commission recense, parmi les exactions commises, des tirs d’arme à feu, des agressions à l’arme blanche contre la population civile, des abus sexuels commis contre de jeunes gens, ainsi que des menaces d’agressions sexuelles proférées à l’encontre de filles et de femmes de paysans. Le rapport de la commission stipule également que des actes de torture ont été commis par la force publique et déplore l’usage intempestif de gaz lacrymogènes parfois dirigés contre des écoles primaires ou lancés depuis des hélicoptères de façon indiscriminée sur des personnes rassemblées fortuitement[4].


Paro agrario, Boyacá, septembre 2013, FLICKR.com, libre de reproduction

Les médias importants du pays avaient quant à eux, entamé au début du mois de juillet, une campagne de criminalisation du mouvement, accusant les manifestants d’être infiltrés par deux guérillas concurrentes, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie[5] et l’Armée Populaire de Libération Nationale[6]. Pour sa part, le gouvernement a tenté sans succès de nier la dimension nationale du mouvement[7]. En déployant une telle panoplie répressive et en obéissant à cette triade « criminalisation, persécution et répression », le traitement politique et médiatique du mouvement paysan,  s’inscrit pleinement dans la tradition politique du pays.

Le récent rapport[8] publié par le centre de mémoire historique faisant le point sur cinquante années de conflit, comporte d'ailleurs un chapitre intitulé « Criminaliser, persécuter, réprimer : les dommages causés par la guerre à la démocratie ». Ce rapport définit les dommages politiques comme des « actes prémédités commis par des acteurs armés [avec l’appui] des élites locales et régionales, pour empêcher, faire taire ou exterminer [des] organisations, mouvements, partis, leaders et théoriciens politiques considérés comme dangereux et contraires aux objectifs et aux intérêts desdits acteurs armés ». Or,  de tels « dommages politiques » ont été commis par l’ESMAD, principalement contre des leaders syndicaux, lors du mouvement de juillet-août 2013, faisant du syndicalisme en Colombie une activité toujours très dangereuse. En témoigne sur l’ensemble de ces douze dernières années, le nombre d’assassinats de syndicalistes, plus élevé que celui des journalistes, maires et conseillers municipaux réunis. Si ce nombre diminue depuis les années 2000, le phénomène persiste toujours avec plus de 20 syndicalistes assassinés l’an dernier[9].










[1] 22 aout 2013, « El paro nacional agrario en Colombia », www.marchapatriotica.org
[2] Reportage de Cine Latina, Canal ITV et de la Agencia Prensa Rural publié par ZT blog Ocana
[3] BELE P., 11 juillet 2013, « Colombie : les morts du Catatumbo et les négociations avec les Farc » in « Blogs Regards Latino », Lefigaro.com
[4] Mission de vérification de droits de l’homme en Boyaca, 24 aout 2013, « Primer reporte de DD.HH en Boyaca »
[5] 6 juillet 2013, « Catatumbo : los correos que implican al lider de la protesta », Semana.com
[6] « Megateo, el capo del Catatumbo », Semana.com
[7] 25 aout 2013, « El tal paro nacional no existe : Santos », Caracol.com.co
[8] Centro de memoria historica, « ¡Basta Ya! Colombia : Memorias de Guerra y Dignidad »,
[9] Un article du Monde du 17 septembre 2013 met en perspective la répression des revendications paysannes et la restitution des terres