Alors que la Colombie connaît le dénouement d’un bras de fer long de
trois mois, opposant l’État au mouvement social paysan le plus important de ces
trente dernières années, il est temps de faire le point sur les méthodes de
répression des mouvements sociaux opérées par l’État Colombien et en particulier par le gouvernement centriste de Santos.
Opposé à la politique de développement économique du gouvernement, notamment aux
effets négatifs du Traité de Libre Commerce[1]
avec les États-Unis, le mouvement paysan démarré au nord-est du pays (dans la
région du Catatumbo) et relayé dans la plupart des zones rurales, ainsi qu’en
milieu urbain, a en effet subi une répression violente de la part du gouvernement. Ce dernier s’est contenté d’opposer des accusations de terrorisme et des
balles réelles[2]
à la révolte rurale, avant de se résoudre, acculé par une opinion publique
désormais retournée contre lui, à négocier avec les organisations paysannes.
Dès le début du mois de juillet, alors que le mouvement ne s’était pas encore exporté
au-delà du Catatumbo, on dénombrait déjà 4
morts et plus d’une cinquantaine de bléssés[3].
S’il est encore prématuré d’établir un bilan national quantitatif des victimes
de la répression, on peut cependant dresser un état des lieux des différentes
pratiques de répression recensées à travers le pays.
Une
commission de rapporteurs des Droits de l’Homme, composée de membres d’ONG et de journalistes indépendants, a
observé que l’ESMAD (Escuadrón
Móvil Antidisturbios, la police anti-émeutes), s’est comporté comme une
véritable « armée d’occupation supplantant l’autorité civile et
violant systématiquement les droits de l’homme » dans la région andine proche de Bogota, Boyaca. La commission recense, parmi les exactions commises, des
tirs d’arme à feu, des agressions à l’arme blanche contre la population
civile, des abus sexuels commis contre
de jeunes gens, ainsi que des menaces d’agressions sexuelles proférées à
l’encontre de filles et de femmes de paysans. Le rapport de la commission
stipule également que des actes de torture ont été commis par la force publique
et déplore l’usage intempestif de gaz lacrymogènes parfois dirigés contre des
écoles primaires ou lancés depuis des hélicoptères de façon indiscriminée sur
des personnes rassemblées fortuitement[4].
Paro agrario, Boyacá, septembre 2013, FLICKR.com, libre de reproduction |
Les médias
importants du pays avaient quant à eux, entamé au début du mois de juillet, une campagne de criminalisation
du mouvement, accusant les manifestants d’être infiltrés par deux guérillas concurrentes, les
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie[5] et l’Armée
Populaire de Libération Nationale[6]. Pour sa part, le gouvernement a tenté sans succès de nier
la dimension nationale du mouvement[7]. En déployant une telle panoplie répressive et en obéissant à cette triade « criminalisation, persécution et répression », le traitement politique et médiatique du mouvement paysan, s’inscrit pleinement
dans la tradition politique du pays.
Le récent rapport[8]
publié par le centre
de mémoire historique faisant le point sur cinquante années de conflit, comporte d'ailleurs un
chapitre intitulé « Criminaliser, persécuter, réprimer : les dommages
causés par la guerre à la démocratie ». Ce rapport définit les dommages politiques comme
des « actes prémédités commis par des acteurs armés [avec l’appui] des
élites locales et régionales, pour empêcher, faire taire ou
exterminer [des] organisations, mouvements, partis, leaders et théoriciens
politiques considérés comme dangereux et contraires aux objectifs et aux
intérêts desdits acteurs armés ». Or, de tels « dommages politiques » ont été commis par l’ESMAD, principalement contre des leaders syndicaux, lors du mouvement de juillet-août 2013, faisant du syndicalisme en Colombie une
activité toujours très dangereuse. En témoigne sur l’ensemble de ces douze dernières années, le nombre d’assassinats de
syndicalistes, plus élevé que
celui des journalistes, maires et conseillers municipaux réunis. Si ce nombre diminue
depuis les années 2000, le phénomène persiste toujours avec plus de 20 syndicalistes assassinés l’an
dernier[9].
[1] 22 aout 2013, « El
paro nacional agrario en Colombia », www.marchapatriotica.org
[2] Reportage de Cine Latina,
Canal ITV et de la Agencia Prensa Rural publié par ZT blog Ocana
[3] BELE P., 11 juillet 2013,
« Colombie : les morts du Catatumbo et les négociations avec les
Farc » in « Blogs Regards
Latino », Lefigaro.com
[4] Mission de vérification de
droits de l’homme en Boyaca, 24 aout 2013, « Primer reporte de DD.HH en
Boyaca »
[5] 6 juillet 2013,
« Catatumbo : los correos que implican al lider de la
protesta », Semana.com