mardi 10 décembre 2013

Les discours de Grenoble et de Dakar vus par l'analyse textuelle

Discours de Dakar AFC
Les logiciels libres R-Temis et  IRaMuTeQ permettent de faire des analyses de textes ou de corpus de textes de façon assez intuitive. On peut par exemple classer les mots d'un texte en fonction de leur proximité et de leur cooccurence dans le texte et représenter ensuite sur un plan ces proximités lorsqu'elles sont significatives.

Nous nous sommes ici livrés à une analyse exploratoire des discours de Dakar et de Grenoble de Nicolas Sarkozy. Les logiciels regroupent les mots de même racine lexicale - par exemple, police et policier - et enlèvent les mots usuels dans tout texte (pronoms, adverbes,...). Ils créent ensuite plusieurs classes de mots qui apparaissent souvent ensemble. Dans les deux Analyses Factorielles (AFC) reproduites ici, chaque classe est représentée par une couleur. Plus la distance entre deux mots est grande sur le graphique, moins ces mots apparaissent dans une même phrase dans le texte étudié. On peut alors analyser comment se structurent les discours, quelles thématiques émergent et comment elles s'opposent, quels rapprochements sémantiques sont faits...
Discours de Grenoble AFC
 Une autre possibilité de représentation  des discours est le "nuage de mots", il représente simplement les mots avec des tailles différentes proportionnelles aux nombres d'usages des mots dans le texte :
Discours de Dakar, nuage de mots

Discours de Grenoble, nuage de mots

lundi 23 septembre 2013

La répression meurtrière des mouvements sociaux en Colombie : État des lieux d’un modus operandi classique de la politique colombienne



Alors que la Colombie connaît le dénouement d’un bras de fer long de trois mois, opposant l’État au mouvement social paysan le plus important de ces trente dernières années, il est temps de faire le point sur les méthodes de répression des mouvements sociaux opérées par l’État Colombien et en particulier par le gouvernement centriste de Santos.

Opposé à la politique de développement économique du gouvernement, notamment aux effets négatifs du Traité de Libre Commerce[1] avec les États-Unis, le mouvement paysan démarré au nord-est du pays (dans la région du Catatumbo) et relayé dans la plupart des zones rurales, ainsi qu’en milieu urbain, a en effet subi une répression violente de la part du gouvernement. Ce dernier s’est contenté d’opposer des accusations de terrorisme et des balles réelles[2] à la révolte rurale, avant de se résoudre, acculé par une opinion publique désormais retournée contre lui, à négocier avec les organisations paysannes. Dès le début du mois de juillet, alors que le mouvement ne s’était pas encore exporté au-delà du Catatumbo, on dénombrait déjà 4 morts et plus d’une cinquantaine de bléssés[3]. S’il est encore prématuré d’établir un bilan national quantitatif des victimes de la répression, on peut cependant dresser un état des lieux des différentes pratiques de répression recensées à travers le pays.


Une commission de rapporteurs des Droits de l’Homme, composée de membres d’ONG et de journalistes indépendants, a observé que l’ESMAD (Escuadrón Móvil Antidisturbios, la police anti-émeutes),  s’est comporté comme une véritable « armée d’occupation supplantant l’autorité civile et violant systématiquement les droits de l’homme » dans la région andine proche de Bogota, Boyaca. La commission recense, parmi les exactions commises, des tirs d’arme à feu, des agressions à l’arme blanche contre la population civile, des abus sexuels commis contre de jeunes gens, ainsi que des menaces d’agressions sexuelles proférées à l’encontre de filles et de femmes de paysans. Le rapport de la commission stipule également que des actes de torture ont été commis par la force publique et déplore l’usage intempestif de gaz lacrymogènes parfois dirigés contre des écoles primaires ou lancés depuis des hélicoptères de façon indiscriminée sur des personnes rassemblées fortuitement[4].


Paro agrario, Boyacá, septembre 2013, FLICKR.com, libre de reproduction

Les médias importants du pays avaient quant à eux, entamé au début du mois de juillet, une campagne de criminalisation du mouvement, accusant les manifestants d’être infiltrés par deux guérillas concurrentes, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie[5] et l’Armée Populaire de Libération Nationale[6]. Pour sa part, le gouvernement a tenté sans succès de nier la dimension nationale du mouvement[7]. En déployant une telle panoplie répressive et en obéissant à cette triade « criminalisation, persécution et répression », le traitement politique et médiatique du mouvement paysan,  s’inscrit pleinement dans la tradition politique du pays.

Le récent rapport[8] publié par le centre de mémoire historique faisant le point sur cinquante années de conflit, comporte d'ailleurs un chapitre intitulé « Criminaliser, persécuter, réprimer : les dommages causés par la guerre à la démocratie ». Ce rapport définit les dommages politiques comme des « actes prémédités commis par des acteurs armés [avec l’appui] des élites locales et régionales, pour empêcher, faire taire ou exterminer [des] organisations, mouvements, partis, leaders et théoriciens politiques considérés comme dangereux et contraires aux objectifs et aux intérêts desdits acteurs armés ». Or,  de tels « dommages politiques » ont été commis par l’ESMAD, principalement contre des leaders syndicaux, lors du mouvement de juillet-août 2013, faisant du syndicalisme en Colombie une activité toujours très dangereuse. En témoigne sur l’ensemble de ces douze dernières années, le nombre d’assassinats de syndicalistes, plus élevé que celui des journalistes, maires et conseillers municipaux réunis. Si ce nombre diminue depuis les années 2000, le phénomène persiste toujours avec plus de 20 syndicalistes assassinés l’an dernier[9].










[1] 22 aout 2013, « El paro nacional agrario en Colombia », www.marchapatriotica.org
[2] Reportage de Cine Latina, Canal ITV et de la Agencia Prensa Rural publié par ZT blog Ocana
[3] BELE P., 11 juillet 2013, « Colombie : les morts du Catatumbo et les négociations avec les Farc » in « Blogs Regards Latino », Lefigaro.com
[4] Mission de vérification de droits de l’homme en Boyaca, 24 aout 2013, « Primer reporte de DD.HH en Boyaca »
[5] 6 juillet 2013, « Catatumbo : los correos que implican al lider de la protesta », Semana.com
[6] « Megateo, el capo del Catatumbo », Semana.com
[7] 25 aout 2013, « El tal paro nacional no existe : Santos », Caracol.com.co
[8] Centro de memoria historica, « ¡Basta Ya! Colombia : Memorias de Guerra y Dignidad »,
[9] Un article du Monde du 17 septembre 2013 met en perspective la répression des revendications paysannes et la restitution des terres

lundi 26 août 2013

La réforme agraire ou la guerre? La question de la réforme agraire au coeur des débats et du conflit colombiens


En cette fin de mois d'août, deux débats animent l’opinion publique colombienne : le mouvement social paysan dans le Catatumbo (au nord-est de la Colombie, près de la frontière vénézuélienne) et la démission de l’ambassadeur colombien à Washington. Ce qui réunit ces deux sujets d’actualités sous une même problématique est sans doute la question de la répartition des terres.

Le mouvement social du Catatumbo est alimenté par les revendications de paysans (que le gouvernement centriste de Juan Manuel Santos accuse de cultiver de la coca) qui aspirent à créer des zones de réserve paysanne. Le processus de création d’une zone de réserve paysanne consiste à regrouper en collectivités des paysans dépossédés de leur terre, pour demander une aide financière du type micro-crédit à l´État et financer ainsi des infrastructures agricoles durables au sein de terres non productives appartenant à l’Etat. Ces petites propriétés collectives qui ressemblent aux kolkhozes soviétiques ne sont qu’un des volets de la politique agraire colombienne qui vise à restituer les 5,5 millions d’hectares dont les paysans ont été dépossédés et à fléchir ainsi la concentration des propriétés agricoles dont le coefficient de GINI s’approche de 1. Or, dans le Catatumbo, ces demandes se sont manifestées par des marches pacifiques qui ont ensuite dégénéré lorsque des tirs à balle réelle[1] des policiers anti-émeute ont tué quatre personnes et fait une cinquantaine de blessés parmi les manifestants[2]. L’affirmation de prétendus liens entre le leader syndical César Jérez du mouvement Association Paysanne de la Vallée du fleuve Cimitarra (ACVC) et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), principale guérilla colombienne fondée en 1964, s'inscrit dans le cadre d'une campagne de discrédit du mouvement social paysan. Discrédit confus puisque les accusations d’infiltration par la guérilla avancées par le même journal (SEMANA) concernent un jour les FARC[3], un autre l’Armée Populaire de Libération (EPL)[4], guérilla maoïste concurrente des FARC.

Le gouvernement colombien ne se contente pas de s’opposer à l’octroi des terres dont les paysans ont été dépossédés par des acteurs armés du conflit, il propose une remise en cause de la loi colombienne des Baldíos, loi 160 de 1994 qui visait à limiter la concentration des terres en restreignant la superficie des parcelles à un certain nombre d’hectares par acheteur en fonction de la qualité du sol. En effet, lors de son discours du 20 juillet devant le Congrès, le président de la République colombienne, a annoncé qu’il envisageait la modification de la loi des Baldíos, loi qui stipule à l’heure actuelle que les terres non-productives appartiennent à l’État et doivent avoir une fonction sociale. Le journal de référence qu’est El espectador s’est procuré un brouillon de ce projet de loi et révèle dans le numéro du 24 juillet 2013 qu’en cas de ratification de la loi, les parcelles acquises avant 1994, pourront être regroupées et mises en commun par un même propriétaire, laissant ainsi le champ libre aux groupes agro-industriels nationaux et étrangers. A la fonction sociale accordée par la loi aux terres improductives aux paysans sans terre, le gouvernement préfère désormais la fonction entrepreneuriale aux bénéfices de ces grands groupes.

L’agro-industrie n’a cependant pas attendu cette initiative du gouvernement pour agglomérer des terres dans un pays ou la concentration des terres et la faiblesse de l’État est à l’origine du conflit armé.
Selon la très documentée lettre publique du 11 juillet 2013 du sénateur Jorge Enrique Robledo (Polo Democrático, gauche), la multinationale agro-industrielle nord-américaine Cargill aurait accaparé plus 52 000 hectares de terres paysannes destinées à la réforme agraire, en violant ainsi la fameuse loi des Baldíos. Cette acquisition, désormais reconnue comme illégale, aurait été facilitée par les services du groupe d’avocats Brigard & Urrutia Abogados. En effet, le groupe d’avocats, dirigé par l’actuel ambassadeur de Colombie aux Etats-Unis, aurait mis en place un système d’achat de terres avec deux intermédiaires. Le sénateur colombien cite en exemple une parcelle qui aurait été vendue (de façon contrainte s’interroge Robledo ?) 10 millions de pesos, soit 4000 euros, par un paysan à un fond d’investissement Puerto Bello S.A. Ce dernier aurait ensuite revendu la parcelle un mois plus tard 2 861 760 000 pesos, soit environ 1,2 millions d’euros et 286 fois la valeur de son prix antérieur, à une autre société Perla La Vichada SAS, propriété de … Cargill. Le sénateur Robledo voit une double faute dans cette transaction complexe qui n’est qu’un exemple parmi tous les achats litigieux réalisés par 35 sociétés anonymes propriétés de Cargill. une faute juridique car elle rend une même personne morale, la société Cargill Riopaila, propriétaire de plus d’une parcelle, doublée d’une faute morale, car le paysan a été privé de 286 fois la valeur de sa terre.
Selon l’ouvrage Les FARC : une guérilla sans fin ?[5] du sociologue français Daniel Pécaut, l’inégale répartition de la terre et la faiblesse de l’État sont à l’origine du conflit armé colombien. La guérilla  s’est en effet fixée lors du manifeste fondateur de Ríochiquito (1964) de confisquer « les propriétés latifundistes »,  et « les terres occupées par des compagnies impérialistes nord-américaines ». Lorsque les guérillas qui étaient au nombre de 7 à la fin des années 1980 ont décidé de négocier avec l’Etat pour devenir des forces politiques légales jouant le jeu électoral, ce sont les éleveurs et entrepreneurs de Cordoba qui les premiers ont dénoncé cette démarche comme étant un premier pas « pour imposer la réforme agraire et noyer la campagne dans la misère » (El tiempo, du 17 aout 1984). Selon le politiste colombien Mauricio Romero dans Paramilitares y autodefensas 1982-2003, dans les phases de négociation entre l’Etat et les guérillas (sous le gouvernement de Belisario Betancur en 1982 et 1986 et lors des débats de l’Assemblée Constituante de 1991), les élites locales et la bourgeoisie ont créé des groupes paramilitaires dans le but d’intensifier le conflit avec la guérilla pour mettre fin à toute possibilité de reconversion des demandes des guérillas dans le champ politique légal. Les paysans pâtissent doublement du la persistance du conflit. Celui-ci instaure d'une part un climat d’impunité qui favorise l’extorsion de terres, les économistes Carlos Felipe Gaviria et Juan Carlos Munoz montrent d’ailleurs l’existence d’une relation positive entre le déplacement forcé et la concentration de la terre dans la région rurale autour de Medellín[6]. Les combats en milieu rural entre les différentes factions engendrent d'autre part des dommages collatéraux qui affectent principalement les petits agriculteurs.

A l’heure des négociations de paix à La Havane entre les FARC et le gouvernement Santos, la réforme agraire semble être un préalable à la paix. Du Catatumbo au scandale des baldíos  attribués aux multinationales, l’État colombien doit se montrer ferme dans ce projet de réforme agraire, en affirmant son autorité face aux groupes agro-industriels, en dépit des incitations au « changement de modèle agraire » prescrit par El Espectador du 24 juillet, et solidaire avec les paysans sans terre en répondant à leur demande de création de Zones de Réserve Paysanne.


[1] Reportage de Cine Latina, Canal ITV et de la Agencia Prensa Rural publié par ZT blog Ocaña
[2] BELE P., 11 juillet 2013, « Colombie : les morts de Catatumbo et les négociations avec les Farc » in « Blog Regards Latinos », Lefigaro.com
[3] 6 juillet 2013, “Catatumbo:los correos que implican a líder de la protesta”, Semana.com
[4] “Megateo el capo del Catatumbo”, Semana.com
[5] PECAUT D., 2008, Les Farc : Une guérilla sans fin ?
[6] GAVIRIA C. & MUNOZ J.C. , 2007, “Desplazamiento forzado y propiedad de la tierra en Antioquia, 1996-2004” in Lecturas de Economia n° 66